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Kaléïdos-coop
19 août 2009

Babouche et brodequin

    J’aurais pu être la fille naturelle d’un maître bottier et d’une pantouflarde, ou réciproquement,  tellement les souliers ont joué un rôle important dans ma vie.

Dès ma naissance, ma marraine la fée, haut perchée sur des talons aiguilles,  se pencha sur mon berceau et me souffla que je trouverais chaussure à mon pied le soir de mes vingt et un ans. Puis elle m’enfila deux petits chaussons lamés, d’un goût douteux,  fourrés de laine vierge. Bien sûr que, nouvellement née, je ne perçus pas l’ampleur d’un tel oracle, mais je grandis à l’ombre de cet heureux présage. C’était comme si un ange gardien chaussé de brodequins m’accompagnait partout. Aussi mon enfance se déroula-t-elle sans encombre majeure, sous un regard bienveillant et enchanteur.

Le jour de mes vingt ans, le claquement tonitruant de ses talons m’annonça sa visite : elle venait me rappeler ce que je savais déjà au fond de moi, j’amorçai la dernière ligne droite avant le grand saut. Je profitai donc de la situation, et comme je savais ce que le sort me réservait, je vécus cette vingt-et-unième année sous le sceau de l’insouciance. J’usai donc mes semelles à parcourir le vaste monde et en profitai pour constituer une collection improbable de souliers dénichés aux quatre coins du globe : babouches marocaines, spartiates grecques, Converse new-yorkaises, espadrilles catalanes, mocassins indiens, décolletés italiens, ou encore sabots hollandais… Je les aimais tant que je m’amusais à en changer tout le temps. Je leur offris même une petite pièce pour les ranger, et au mur j’accrochai une reproduction  des Souliers de Van Gogh ! Collectionneuse monomaniaque certes,  mais pas encore fétichiste ! Pas encore… Aussi de fils en talons aiguilles, les jours, puis les semaines, et les mois s’écoulèrent, et je commençai à ruminer…

J’avais beau les avoir toutes portées, aucune paire ne me plaisait plus qu’une autre… et le doute commença à m’habiter. Etait-ce ces sabots si confortables mais portant fort bruyants ? Ou bien ces décolletés si élégants mais si périlleux ? Ces babouches peut-être, à la fois douillettes et colorées ? J’avais  beau me concentrer, aucune évidence ne s’imposait d’elle-même.

Le jour même de mon anniversaire, mon choix n’était donc pas arrêté et je commençais sérieusement à me morfondre… Aurais-je mal compris le sens de l’oracle ? Je décidai donc promptement d’aller prendre l’air et enfilai mes gros sabots. Ils résonnaient sur la chaussée et nul ne pouvait négliger ma présence. Une heure plus tard, je marchais toujours mais trainais de plus en plus les pieds à cause de leur poids que je parvenais désormais difficilement à ignorer.  Epuisée, je pris le chemin du retour et ce qui devait arriver arriva : en descendant d’un trottoir je me tordis la cheville. Je poussai un cri de douleur et me retrouvai assise par terre à pleurer. Un passant vint à mon secours et me hissa en sécurité sur le trottoir. Il commençait à faire nuit. Il me tendit un mouchoir en tissu, ce que je trouvai plutôt original. Ma cheville droite était gonflée et bleue, mais lorsqu’il me sourit, la douleur se dissipa. Il me proposa de me porter jusqu’à la pharmacie d’en face avant qu’elle ne ferme. J’acceptai timidement. Quand il ramassa mes sabots et qu’il me les tendit il me demanda si j’étais suicidaire. Avec des trucs pareils aux pieds c’était un miracle si je ne m’étais pas tuée. Je dodelinai de la tête pour lui indiquer que non, j’avais un coup de blues certes, mais pas à ce point ! Il passa alors son bras sous ma nuque et l’autre sous mes genoux et m’emporta de l’autre côté de la rue. J’aurais voulu que la pharmacie soit de l’autre côté de la ville ! Nous entrâmes en silence, et il me déposa sur une chaise qui attendait patiemment dans son coin. Il s’agenouilla devant moi pour me remettre le sabot au pied gauche. C’est alors qu’il m’appela Cendrillon. « Tiens ?! Comment savez-vous comment je me prénomme ? » m’enquis-je, surprise. Il se troubla, et me dit que non, il n’en savait rien, il avait dit ça comme ça, sans y penser. Puis il prit un air amusé et ajouta que j’aurais bien l’air embarrassé d’aller danser au bal ce soir dans cet état, par contre si j’avais le numéro de portable du cocher qu’il pouvait faire venir le carrosse. Il se moquait de moi et de ce fichu prénom, je me renfrognai. Il le vit et me chuchota à l’oreille des paroles de réconfort. Je souris en rougissant et là, je baissai pour la première fois les yeux, c’est là que je découvris ses pieds ! Il avait deux chaussettes en laine de couleurs différentes. Il surprit mon regard étonné. Il me confia alors que depuis tout petit il avait un problème avec les chaussettes, qu’il ne parvenait pas à conserver une paire entière, il faisait donc collection des orphelines comme il les appelait. Et son plaisir était de les associer selon l’humeur. Aujourd’hui c’était rouge passion et vert de l’espoir, ça tombait bien !… Je le regardai dubitative et mimai une moue boudeuse pour répondre à son air moqueur. C’est précisément à ce moment-là  que la pharmacienne s’avança : elle me manipula un peu la cheville en me disant que ça n’était pas grave, que demain on y remarquerait plus… Et quand elle se retira à l’arrière de son officine, j’entendis seulement résonner des talons aiguilles qui s’éloignaient. Je levai les yeux et souris. Nous sortîmes alors dans la rue, je pris mes sabots à la main, en princesse va – nu - pieds…

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Commentaires
R
Merci M'sieur! ravie d'apporter une touche de fraîcheur en cette journée caniculaire!
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O
Délicieusement frais... un sorbet aux fruits rouges en réponse à cette image qui pue (la vieille chaussette)... Chapeau !
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R
la photo est reportée pour le 1er septembre!
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M
voilà un texte qui vous fait prendre votre pied ! nous attendons avec impatience la prochaine photo...
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