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Kaléïdos-coop
6 mai 2009

Witness

Je suis assis dans mon fauteuil, la photo à la main.

Comme elles étaient belles ce jour là.
Rayonnantes, elles parcouraient la terre de leurs pieds nus, dryades déchevelées par leurs courses folles.
J'ignore leurs noms je n'étais que le témoin que le hasard avait placé là, dans ce parc citadin, cette aire de verdure au milieu d'un Cromlech de hauts buildings...

Trois jeunes filles, trois grâces. J'entends leurs rires enfantins, le sourire qu'elles arrachaient aux promeneurs. Elles semblaient voler sur l'herbe, insouciantes...

Je suis assis dans mon fauteuil, la photo à la main.

Comme il est loin ce temps là... A peine une vingtaine d'année plus tard, je me dis que le seul défaut de cette photo, c'est son noir et blanc. Les couleurs étaient si vives dans ma mémoire, éclatantes, tranchantes.

Des couleurs que je ne perçois plus. Des couleurs noyées dans le brume de nos quotidiens. Le pire ce n'est pas de ne pas pouvoir, c'est d'avoir pu. De savoir que ça existe, que ça a existé.

Ma grand mère se foutaient de sa sexualité, personne ne lui avait laissé le choix. Me mère l'a vécu pleinement, en conscience de sa chance, fruit du combat de sa génération. Et ma fille elle, ne peut toucher ni être toucher sans protection, sans le regard accusateur de sa génération si bien pensante qui lui souffle à l'oreille qu'elle est inconsciente, que même avec le latex, le risque est là... Je sais pas pourquoi je pense à ça. Parce qu'elle leur ressemble sans doute.

Le sourire encore accroché à l'âme.

Je suis pourtant pas si vieux, mais ils m'ont usé jusqu'à la corde. Moi et tout les autres. A grand coup d'inquiétude, de risques sanitaires, de risques sociaux.

Assurer sa vie, prévenir les accidents, vivre clean, vivre vieux. Mourir d'ennui à chaque seconde en mourant de peur à chaque minute. Bien rangé dans sa boite, dans sa catégorie.

Dans ma génération, seul ceux qui avait fait HEC pouvaient penser devenir leur propre patron ..." chef d'entreprise". Pouvaient PENSER, les autres, tous les autres, ne parvenaient même plus à s'imaginer autre chose que salarié, esclave volontaire d'une machine qui les dépassait, les assurait, les sécurisait, les sclérosait...

Je suis assis dans mon fauteuil, la photo à la main.

J'me dis juste que c'est ça qu'il faut qu'elle garde, que c'est ça qu'il faut qu'elle conserve en elle. Cette fraicheur de dryade, cette naïveté de jeune fille en fleur.


Découvrez Hubert-Félix Thiéfaine!

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Commentaires
I
" Je suis tellement angoissé que, quand le pire arrive j'en suis presque soulagé" <br /> Qu'est-ce qu'on peut perdre comme énergie!
Répondre
R
Thiéfaine... Ca faisait bien longtemps!
Répondre
Kaléïdos-coop
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