Elégie pour un vieux bibliothécaire
J’habite un peu derrière la troisième rangée tout au fond
Où arrivent ceux qui demandent les classiques du roman champêtre
Mes préférés
C’est drôle pourtant ce regroupement qui n’intéresse personne
Mais le vieux bibliothécaire l’avait voulu ainsi
Prélevant à leur rayon d’origine ces livres qui du reste n’étaient lus
que de loin en loin
J’habite un peu derrière la troisième rangée tout au fond
Où le vieux bibliothécaire avaient rangés ces livres et venait parfois
Pas si souvent,
Si bien que j’ai pensé que peut-être il l’avait fait pour moi
Il savait que j’aimais la campagne des livres bien plus que la vraie campagne
Que je n’ai pas connue
J’habite un peu derrière la troisième rangée tout au fond
Je n’ai jamais couru dans l’herbe sous le soleil, grimpé sur un rocher
Ni senti une fleur
Mais j’aime escalader un livre, me repaître de ses odeurs anciennes
Parcourir ses signes sur le papier jauni et poser ma tête
Sur sa couverture de cuir ou de tissu élimé
J’habite un peu derrière la troisième rangée tout au fond
Je ne suis pas pourtant de ceux qui dévorent les livres qui ne
plaisent
Qu’à mes sens
Et par-dessus tout j’aimais quand le vieux bibliothécaire lisait
Sur la demi-voix de la confidence des histoires de bergers d’Arcadie
De sous-préfet égaré et de jumeaux amoureux
J’habite un peu derrière la troisième rangée tout au fond
Je ne sais si j’aime ces mots parce qu’il me les lisait ou bien s’il me
lisait ces mots
Que j’aimais
L’histoire ne le dit pas dit seulement que sa voix était là cadeau
Et jamais ne s’autorisait d’autre mot ni d’autre don que ces mots
Qui sans être de lui restent tout ce que je connais de lui
J’habite un peu derrière la troisième rangée, tout au fond
Maintenant je n’entends plus ni ici ni derrière la troisième rangée
La voix du vieux
Et personne ne demande les classiques du roman champêtre mes préférés
Je n’ai plus pour seule visite que le museau pincée d’une femme qui se
doute que j’habite
Un peu derrière la troisième rangée tout au fond
Rodant autour de la troisième rangée elle traque suspecte les traces de
mon irrespect
Que j’habite là un peu derrière la troisième rangée Si tel est tenté de
venir là
Lire quelques mots
Son regard chasse bien vite le doux importun et je n’entends plus les
mots de ces livres
Que j’aimais tant du temps où le vieux bibliothécaire offrait l’asile
De sa voix et de sa cécité à un pauvre rat de bibliothèque