Ton enfer est pavé de nos bonnes intentions
T'es sortie en claquant la porte, t'avais le coeur au bord des yeux et les intestins au fond de la gorge. J'ai pas entendu tes premiers sanglots, couverts par la fin de tes hurlements. J'ai pas vu non plus tes yeux déborder et se noyer, je n'y ai vu que la rage. Une rage enfantine.
Mais tu n'es plus une enfant, je le comprends seulement maintenant que tu es partie. La porte a claqué, les yeux ont débordé, la gorge a étouffé des sanglots, et je me rends compte que tu n'es plus la même. Tu n'es plus celle que je pouvais priver, tu n'es plus celle que je pouvais engueuler.Tu n'es plus celle que je pouvais câliner, non plus. Un autre s'en est chargé, et il l'a mal fait, il t'a fait du mal. Tu n'es plus celle que je peux consoler, parce que je ne sais plus le faire, visiblement.
J'ai commencé par t'engueuler, par te questionner, de plus en plus pressant, à en devenir oppressant. Alors t'as craqué, et t'as voulu couvrir mon angoisse, à déverser ta haine, à gerber celui que je suis. Tu as eu raison, il aurait suffi que je voie tes yeux déjà humides pour que je comprenne. Que je te prenne dans mes bras, et que tu te laisses aller.
Finalement, je ne vaut pas mieux que lui, ou alors je ne suis pas plus doué. Mais je m'en rends compte trop tard. Maintenant je ne peux que t'imaginer traînant les rues aussi grises que ton coeur. A battre le pavé et à effleurer les briques du bout de tes doigts. Ton enfer est pavé de nos bonnes intentions. Nos coeurs de briques réfractaires ont eu raison de toi.
Pleure, ma fille. Crie, ma fille. Maudis-moi, ma fille. Soit amère, ma fille.
Mais reviens-moi, au moins un instant, ma petite fille.
Même si tu n'es plus, à jamais, celle que je continuais à croire pucelle.