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Kaléïdos-coop
24 juillet 2009

Les bouches de l'enfer

J'ai pris cette ligne pendant des années. Toujours aux mêmes heures, aller tôt le matin et retour en fin d'après midi, une fois le café pris en face du lycée. J'ai traversé Paris dans toute sa longueur, sans jamais rien voir de sa surface.Passage spacio-temporel entre une chambre de 5 métrés carrés et un préau d'usine académique. Chaque jour, le walkman visé dans les oreilles, la mine renfrognée sous une vieille casquette de base ball, je m'asseyais le matin et me faufilais le soir.
Vide et plein, jour et nuit, biologique et minéral, tout est là, dans ces couloirs fleurant bon la pisse ou la javel industrielle.

N'étant pas parisien, je n'ai jamais profité du don inné de ceux-ci pour regarder sans ne rien voir.
Cette faculté que je ne comprenais pas d'avoir les yeux ouverts sans que rien ne semble atteindre la rétine...
Ce pouvoir de dire non à l'existence imposée durant de longues minutes à un univers entier.

J'avais beau me cacher sous mon air de maudit, je ne pouvais que voir, à défaut d'entendre, ces gens, je ne pouvais que les sentir, je ne pouvais que m'interroger sur eux, leur inventer des canevas de vie que chaque jours je pouvais développer ou infirmer, au grès des éléments nouveaux.  Si je ne pouvais lire dans la rame, j'inventais mes scénarios dont ces inconnus familiers devenaient les acteurs... du porno au film d'espionnage, du psychopathe caché sous son vernis au meurtrier sordide d'une banale altercation conjugale, je revisitais tous les genres. Même la Sf.

Surtout la SF en fait... Cette rame fut chargée pendant des jours entiers de vampires assoiffés fuyant la lumière du jour. Puis leur ennemis Lupins les ayant repérés, je cherchais alors à deviner à quel clan ce type mal rasé et sentant si fort la transpiration appartenait. D'autres fois, les Aliens envahissaient Paris, et j'accentuais le moindre aspect des visages, les déformant pour rendre leurs vraies natures visibles à tous. Parfois je riais tout seul... mais personne pour me regarder.

C'etait moi l'alien me disais-je. Ou le virus.

Je nageais dans dans les couloirs, essayant de me fondre dans le flux océanique des vagues métropolitaines, parvenant souvent à trouver le rythme secret des foulées, à m'y calquer le temps d'un changement. A devenir une parcelle de ce grand ensemble formidable appellé foule... Mais jamais je ne parvenais à me perdre, à m'oublier dans ce chaos organisé de jambes et de bras, de regards rivés vers le même point, le quai, la sortie...

C'est dans le métro parisien, dans le métropolitain, que j'ai appris à rever la vie. Que j'ai appris à sourire aussi. Pour rien, aux gens, parce que je voyais que ça les perturbaient., parce que je me disais qu'ils en avaient bien besoin, aprés avoir été dans la même journée, homme, femme, employé cadre, vampire, chevalier, monstre et parents... parisiens.

Alors maintenant quand j'il m'arrive de prendre le métro, au hasard d'un voyage, je souris toujours. Je garde les yeux au fond des yeux des gens, et je souris.

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Commentaires
R
Moi aussi j'aime bien quand tu souris, ça rend l'air plus léger, même derrière mon ordi!
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R
j'aime bien quand tu souris...
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R
j'aime bien quand tu souris...
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A
Vision urbaine de l'existence que tu décris là...
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J
De quelques manières qu'elles s'expriment, la vision globale et la perception du métro, ou plus communément celles des transport en commun, restent viscéralement plantées de façon identique chez beaucoup de personnes. C'est devenu la pensée universelle d'un univers hostile, froid, dans lequel bien que "groupé" nous n'avons rien à faire ensemble...à part se faire trimbaler d'un point à un autre.
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