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Kaléïdos-coop
19 avril 2009

Banana Spleen

Je suis aux portes de l’enfer, et pourtant je ne suis pas mort. Je suis aux portes de l’enfer, et pourtant je respire encore.

Je suis là, ça j’en suis sûr : par contre ne me demandez pas si je suis debout, assis ou couché. Je ne sens plus mon corps. Mes idées valsent et tourbillonnent quand mes jambes, elles, ne répondent plus. Je suis aux portes de l’enfer et je sais qu’un pas de plus m’y fera basculer pour de bon.

J’ai encore la tonalité qui vibre sur mon tympan droit (je suis droitier, je le sais, même si je ne sens pas plus mon bras droit, que mon bras gauche ou mes deux jambes), ou c’est plutôt le souvenir de cette tonalité parce que je ne suis pas sûr d’entendre encore. C’est comme si mon esprit s’était enfui de ce corps prêt à exploser sous la pression de la colère. J’imagine très bien chaque vaisseau se gonfler sous l’afflux sanguin. Ça s’est produit à l’instant même où j’ai entendu ma voix hurler pauvre conne ! dans le combiné sauf qu’elle avait déjà raccroché… ça veut dire que j’ai hurlé ça dans le vide, du coup le flux sanguin m’a envahi et mes vaisseaux ont gonflé, j’ai bien cru que j’allais éclater comme un ballon trop gonflé qui rencontre une épine de rosier. Mais je ne vois rien sur le pavé : ni éclaboussures de sang, ni parcelles de cervelle dispersées, le pavé est gris, tristement gris, proprement gris, à l’exception de cette crotte de chien dans laquelle j’ai manqué marcher. Seuls mes yeux semblent  fonctionner encore, certainement pour contempler l’ampleur du désastre. Douloureuse détresse d’un trait de colère qui ne touche pas sa cible : il revient comme un boomerang et vient marteler le tympan de ses oscillations ondulatoires qui viennent se fondre au creux de l’oreille avant de contaminer les deux hémisphères du cerveau. Les idées qui valsent et tourbillonnent à m’en donner la nausée, c’est à cause de ça.  Depuis, je suis là: il semble que je suis debout, vu que je domine les pavés gris d’une hauteur qui ressemble à la mienne, mais je ne sens rien : anesthésié ? anéanti ? Les deux mon capitaine. A l’instant précis, je voudrais juste m’écrouler sur place pour éloigner définitivement de moi l’envie de la buter.

Elle, c’est la mère de mes enfants.

Et si j’ai cette putain d’envie de la faire taire à tout jamais, c’est qu’à chaque fois que nous tentons d’amorcer quelque chose qui pourrait ressembler à une conversation entre adultes, ça tourne au cauchemar : au début ça faisait un peu mauvaise série B, des dialogues à la con, elle et ses répliques à la sauce « Amour , gloire et beauté » , les silences qui vont avec, les regards aussi, dommage que ça m’énervait au point d’avoir envie de lui faire avaler sa télé parce que pour le coup ça me donne envie de me marrer (sauf que je n’ai toujours pas repris l’usage de ma mâchoire, elle semble encore crispée), et puis d’épisode en épisode, et d’engueulade en engueulade, ça a pris de l’épaisseur tant dans les répliques que dans le scénario. J’ai dû retenir les meilleurs bouts à chaque fois, que je colle de mieux en mieux et de plus en plus vite,  maintenant ça prend une tournure de duel à la Tarentino, les armes en moins, sinon je foncerais chez elle et là, pile entre les deux yeux, je lui ferais fermer sa grande gueule pour toujours et à jamais.

Je repasse le film depuis le début, je ne comprends pas. J’essaye de comprendre, je n’y arrive pas. Pourtant, il me semble que je suis d’une intelligence normale, pas trop con, pas trop sourd non plus, j’admets les critiques quand elles sont fondées, bon, bien sûr, j’ai mon orgueil de mâle, mais je ne suis pas complètement bouché. Et d’ailleurs, je bosse dans la com et ça ne me réussit pas mal. Je gagne bien ma vie, je la perds bien aussi, avec ces fichues communications qui ne conduisent nulle part ailleurs qu’au pays des rêves des crimes commandités et autres meurtres en lingerie fine. Je me planterais devant elle, je commencerais par la bâillonner avec ses bas nylon pour la faire taire (mon dieu, faites-la taire), et là, bang, entre les deux yeux après lui avoir plongé mon regard noir bien profond.

Sauf que c’est la mère de mes enfants, et que je les aime trop pour les rendre orphelins, et que malgré tout, je la respecte certainement beaucoup trop aussi pour l’écraser comme je pourrais le faire avec un cloporte. Elle en a de la chance. Si elle savait cette conne.

La première fois, que j’ai prononcé ce mot en la visant j’en ai perdu le sommeil pendant une semaine. Qu’on ne s’aime plus, ça se comprenait, qu’on se sépare, ça allait dans l’ordre des choses, mais quand on est arrivé à l’étape de la haine, je n’ai pas compris.

Je n’ai pas compris, pourquoi cette femme avec qui j’avais partagé de doux moments ces quelques années devenait d’un coup d’un seul une ennemie de taille à prendre en otages mes propres enfants.

Elle est devenue folle. Alors je me suis demandée si elle était folle d’origine et que je ne m’en étais jamais rendu compte (l’amour rendrait-il aveugle à ce point ?), ou bien si un événement avait déclenché cette folie à la manière d’une bombe à retardement ?! En tous cas, c’est elle qui m’a foutu dehors un soir que je rentrais du boulot, ma valise était prête, dans l’entrée, comme dans les films à la con qu’elle regarde sans cesse : j’ai cru à une plaisanterie mais à son regard j’ai vu que ce n’était pas la peine d’insister, alors je suis parti les épaules basses, et je me suis installé à l’hôtel en attendant qu’elle me demande de rentrer. 

Ça va faire sept ans. Elle n’a jamais imploré mon retour et je prie pour que ça n’arrive pas ! Je n’ai jamais vraiment su ce qu’elle me reprochait, toujours est-il qu’elle a réussi à convaincre le juge de lui confier la garde des enfants, et depuis sept ans, plus le temps passe, plus on s’engueule. Allez comprendre quelque chose, on aurait mieux fait de rester ensemble à ce tarif –là, parce qu’à l’époque on ne s’engueulait pas!  Il y a des couples qui se séparent parce qu’ils se tapent dessus et bien nous, on a attendu d’être séparés pour le faire ! Comble de l’ironie d’un sort que je ne maîtrise pas. J’ai l’air d’en rire, mais en fait, là je n’en peux plus, chaque sujet de conversation tourne au pugilat, et chaque fois c’est le même refrain, elle met les gosses au milieu et moi, je finis par céder pour qu’elle me fiche la paix et que je puisse voir mes mômes le week-end. C’est dégueulasse.

Des larmes de rage me brouillent la vue, je trébuche, je retrouve doucement le sens de l’orientation, je sens mes jambes se dérober, je chavire, je crois que je vais vomir. Je me retiens de justesse avant de m’écrouler dans la crotte de chien qui ne doit pas être loin, où que je sois le terrain est toujours miné. Je suis à bout de nerfs, les spasmes me font trembler. Je serre le plus fort que je peux ce à quoi je me retiens, c’est froid, c’est lisse, ça glisse…

J’essuie mes larmes dans la manche de mon costard, je redeviens l’enfant que j’étais, envie des jupes de ma mère pour m’y réfugier, de son mouchoir imprégné de son parfum pour me moucher. Mais je suis là, tout seul comme un con, dans cette rue, je devine les silhouettes des badauds qui changent de trottoir en arrivant à ma hauteur, je leur fais peur. Doucement, je vois de mieux en mieux, je confirme la crotte est toujours là, j’ai marché dedans… Je relève doucement le visage, avec l’espoir secret que mes larmes ont lavé l’objet de ma colère. J’ai envie de rentrer chez moi, je veux dormir… oublier… prendre un bain… m’y noyer…

J’appuie mon front sur quelque chose, ça ressemble à du plexiglas… c’est lisse, ça glisse mais ce n’est pas froid… je suis accroché à un abribus… Il y a un banc je vais pouvoir m’y assoir. Je me redresse dans un dernier élan prêt à franchir ce pas… le seuil des enfers semble s’être provisoirement éloigné… Je me redresse dans un élan de dignité et quand je ne me méfiais plus, je me mets à gerber sur cette affiche immonde avec cette bouche ourlée qui se tape une banane… C’est con mais l’espace d’un instant j’y ai vu la sienne avec un canon de Beretta enfoncé dedans… je n’ai pas pu m’empêcher  d’appuyer mentalement sur la détente…

Je crois que maintenant  ça va aller, je vais rentrer prendre un bain, appeler ma mère et m’inviter ce soir à dîner.

Même si c’est juste virtuel, on a quelque chose à fêter.

[suite: ici (2) et (3)]

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Commentaires
R
... parce que non seulement j'ai fait long ici mais en plus j'ai fait une suite là: http://collectiondeplaisirsminuscules.hautetfort.com/archive/2009/04/23/banana-splen-2.html
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R
1. Ci-dessus LA déclaration officielle! ;-)<br /> 2. tu peux laisser des PS tant que tu veux! <br /> 3. Je te remercie de ne m'infliger aucune contrainte supplémentaire! <br /> 4. Au pire, j'aurai opté pour le cul! Ah!
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A
Rouge : nan tu fais ce que tu veux, c'est pour ça que je t'aime...<br /> : )<br /> PS: non pas de Ps, j'avais encore me faire virer sinon...
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R
Dois-je comprendre que je dois faire drôle la prochaine fois? (pour le cul tu ne sauras rien!)
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A
Rouge : tu commençais à me désespérer... ( pour le cu!, je veux pas savoir...)
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Kaléïdos-coop
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