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Kaléïdos-coop
31 mars 2009

Le grand voyage

Joseph ne comprenait pas clairement ce qu'il se passait. On ne le lui avait pas dit, et d'ailleurs, il n'avait pas posé de question. Il se rendait compte qu'il n'avait plus la moindre force, ni pour manger, ni pour s'asseoir. Il devinait une grande tristesse chez ses enfants et une gentillesse et une attention particulière de tout le personnel soignant, on aurait dit qu'ils essayait de faire un sans faute avec lui ces derniers temps.

Tout cela était assez confus, il ne le percevait qu'au second plan parce qu'au premier plan, omniprésente, l'accompagnait cette vieille douleur diffuse qui augmentait sur trois jour. Le premier jour ça allait, il pouvait discuter avec sa femme, la seule personne qui restait raisonnable sur Terre, le deuxième jour son visage recommençait à se crisper, et le troisième jour il n'avait plus de conscience du monde jusqu'à ce que l'infirmière change son patch diffuseur de morphine.

"Oh la la, il recommence à gémir, va chercher l'infirmière c'est plus possible!" Joseph ignorait même de qui on parlait, il était un corps souffrant, geignant, s'abîmant et que le humains autour de lui tentaient, maladroitement peut-être, de soulager.

Cette nuit-là il avait plus de mal à respirer que d'habitude. Myryam, l'infirmière de nuit, lui avait serré la main doucement en murmurant "Bonsoir Monsieur Jardin, c'et Myryam, l'infirmière de nuit, est-ce que vous me regardez ce soir?" et la tendresse de l'interpellation avait fixé son regard  un instant, il avait pensé un sourire en réponse au bon visage en face de lui et puis était reparti vers des pensées lointaines.

"On ne va pas le changer maintenant, je ne veux pas l'embêter, les filles du soir viennent de passer, on le changera de position tout à l'heure". Et le binôme soignant était sorti prendre soin des autres.

En pénétrant dans la chambre quelques heures plus tard, l'aide-soignante dit la première "c'est fini, il est parti".

"Parti?" Myryam regardait la photo du grand'père rondouillard que Joseph était trois mois avant sans réaliser. Elle prit dans sa main celle de Joseph encore tiède, caressa sa joue, et les deux femmes préparèrent Joseph avec la conscience qu'elles faisaient pour lui la dernière chose qu'elles pouvaient faire. Elles y mirent un peu de leur âme et, comme les soignants savent que l'âme du défunt reste un peu dans la chambre, elles le touchèrent avec autant de délicatesse que quand il était souffrant. Puis, satisfaites par l'apparence tranquille de Joseph qui perdait doucement ses couleurs et sa chaleur, elles entrouvrirent la fenêtre avec la superstition des filles de la campagne, pour laisser l'esprit aller où il devait aller. Elles quittèrent la pièce respectueusement avec le sentiment du travail terminé et la nostalgie devant le point final d'un livre qu'on a aimé pour retrouver le monde des vivants, pour le temps qu'il leur restait à vivre sur cette Terre avant leur tour pour le grand voyage.

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Commentaires
A
Tranches de vie coupées bien droite, entre deux pains tendres.<br /> Un encart, mais pas une anecdote.
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R
Arrêtez je vais rougir! Je ne sais pas réagir intelligemment aux compliments et à force de me cacher devant mon écran cet ordinateur se fiche de moi!
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J
C'est vous aussi non ?<br /> j'ai bien aimé également<br /> plus sophistiqué et plus mordant<br /> l'intrigue est bien menée
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R
Voilà un compliment littéraire qui me touche beaucoup et que je garderai en mémoire, je suis contente que ça t'ait plu.
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R
Voilà un compliment littéraire qui me touche beaucoup et que je garderai en mémoire, je suis contente que ça t'ait plu.
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