la fatalité des volets roulants
Et ne me re-parle plus jamais de volets roulants! Quand je pense à tout ce que j'ai dû supporter avec ce pauvre type, je m'étonne de n'avoir pas explosé avant.
Mon pauvre Antoine, mais la seule chose qui me plaisait chez toi c'était ton manoir et tes chiens! Tu ne méritais rien et tu avais hérité de tout. Quelle allure grotesque tu as toujours eue mon pauvre ami! Je te revois quand je t'ai rencontré, avec ton affreux perfecto, ton hideuse moto orange, sortant du PMU, je n'ai pas levé les yeux sur le pauvre type que tu étais tant qu'Amélia ne m'a pas dit que tu étais l'Antoine de Lac des Bruyères. Ton nom me faisait rêver. J'ai décidé rapidement de devenir châtelaine, de gommer tes défaut qui pouvaient l'être et de gagner la dignité qui te faisait tellement défaut.
Quand je te regarde maintenant, la face bleue, la langue pendante, je me dis que tous mes effort étaient voués à l'échec, je le savais, et pourtant je suis fière du chemin accompli. cela dit, trêve de bavardage, il faut que je te descende vite aux caveaux avant la rigueur cadavérique sinon il me sera impossible de te déplacer seule. Heureusement que je connais les plans du manoir, tu n'as jamais eu la curiosité de les lire, tu ne t'es jamais interrogé sur la longévité de ta famille malgré les insurrections anti aristocratiques. Tout cela t'as toujours ennuyé. Je pense que ce sont tes parents qui ont dû t'influencer pour que tu m'épouse, ils se doutaient que tu ne pourrais pas avoir mieux vu ton histoire.
J'ai pu supporter que tu courres les jupons de la région, ça cadrait assez bien avec le personnage de nobliau que j'aurais voulu que tu respectes pour ses qualités, j'ai supporté que tu ne saches pas t'occuper de ton magnifique cheptel de bull-terrier, je les ai dressés, je les ai rendus dignes de leur race fière et robuste, ils te connaissent sans te respecter, ils me respectent et m'estiment, comme toute la région d'ailleurs.
Regarde un peu ce parc magnifique, c'était tout juste bon à en faire un champ de patates avant mon arrivée. J'étais ce qui pouvait t'arriver de mieux, et je dois reconnaître que c'est réciproque.
Non mais quand il te prend une lubie c'est insupportable cette façon que tu as d'imposer les choses! Quand tu m'as affirmé que tu ferais poser d'ignobles volets roulants à chaque fenêtre j'ai vu rouge, la façade classée monument historique défigurée par tes accointances avec cet ivrogne de maire, j'ai essayé d'argumenter calmement mais le principal défaut des brutes épaisses c'est de s'en tenir à une idée et de ne pas la lâcher. C'est bien le seul point commun que tu aies avec les bull-terriers. A court d'arguments j'ai voulu me faire un thé, je suis passée derrière toi, assis sur ton fauteuil, et j'ai vu ta nuque rougeaude, ta peau grumeleuse, tes cheveux insignifiants, toute ta stupide personne qui me faisait échec. Pourquoi le fouet était sur la table? Ce doit être moi qui ne l'avait pas rangé après ma balade à cheval, toujours est-il qu'il s'est enroulé autour de ton cou sans que je l'ai distinctement voulu, après j'ai serré et la jubilation que j'ai ressentie en pensant que ce manoir serait à moi et qu'il n'y aurait jamais de menace de volet roulants, c'est ta faute aussi Antoine, tu es mort si rapidement pour un homme de ta corpulence!
Je n'aurais jamais cru mettre autant de temps à te descendre ici, bon, voilà la position que tu auras dans ton cercueil, tu vas partir en voyage et tu mourra là-bas, en Amérique du Sud peut-être, et je ferais venir un cercueil vide, que je remplirai ici.
Et maintenant, je vais arpenter mes terres avec mes chiens, en harmonie avec la nature et la vie, l'élégance de ma condition de dame de la campagne. Quel plaisir d'être au printemps!