La couleur du blé

C'en est couvert à perte de vue. De ce blé si doré qu'il me fait saigner la cornée. L'insolence de la beauté des paysages, circonstanciée. Une beauté qui n'a plus rien de sauvage. Une beauté en sachets. Une beauté branchée. Les tuyaux qui pendent de ton corps blanc. De petit garçon blond. Tu t'es étouffé comme ta planète. Asphyxie. Le mal glissant et engloutissant. Toi, gisant. Moi, fuyant. Le ciel et le champ confondus. Tes yeux bleus sous ton front suspendus.
Ils l'ont eu, leur Une. Puisque tu es blond. Puisque c'est presque Noël depuis deux mois. Puisqu'ici, la mort est un scandale.
Je suis infirmière en fin de carrière et c'est exact. Des affections respiratoires, il y en a un nombre croissant. Et tu sais quoi, Léo, aujourd'hui, je m'en tamponne. Je les achèterai demain, mes birckenstock. Mes chèvres, et mes nattes, mon kit Ardèche libre. Pour l'heure, je te pleure. Toi. Simplement parce que j'aimais ton sourire. Ta douceur et tes moqueries. Pas pour le symbole. Tu m'as demandé un jour si ça ne risquait pas un peu de sentir la maison de retraite, de l'autre côté. Je t'ai dit si. Mais il y aura aussi des coins enfants. Des coins jeunes. Un peu comme au camping. Il y a de tout. Même des cons. Même des innocents. Alors t'as souri.
Monsanto, Total, Rhodia, Nestlé, Sanofi ont bien pu te sacrifier sur l'autel de leurs bénéfices, comme dit ton oncle en regardant la caméra les yeux rougis, le postillon vaillant, je me demande bien ce que ça change ? Ton tonton ne sait pas te pleurer. Alors il les vocifère. Ceux qui mettent de la viande, ogresse, dans nos assiettes. Ceux qui engraissent des boeufs avec des céréales qui sauveraient des Noirs. Pour que les américains puissent s'enfiler plus de hamburgers, dit-il. Ceux qui gavent nos déplacements de pétrole faute de couilles. La peur de dire merde à l'OPEP. Peur de dire merde aux Arabes. Voila ce qu'il en dit ton oncle. Il enchaîne sur les médicaments et le SIDA. On laisse des trous du cul en costume se servir dans les ressources comme leurs femmes le font dans des supermarchés. Décider du qui vivra-mourra. Ton tonton Colombo a trouvé ton assassin. Il s'appelle Nikkei, nom de code CAC 40. Probablement un cousin éloigné du Gouvernement.
Le voila perdu. Tout raisonnement est soluble dans la peine.

Ce soir, ta tante est rentrée plus tôt de la gym, elle avait pris le Pajero. Elle s'est servi une évian-fraise et a préparé le dîner en mattant canal. Boeuf-carottes.

Bon appétit, bien sûr.

Comments

[Neeloa]

Ben MON SANTO, TOTALement prenant...
SANOFIle la chair de poules qui CA(C)quettent(poules élevées en plein air bien sûr ;o) .

[Ash]

C'est bon de te lire à nouveau

[rachbel]

Poignant.