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Kaléïdos-coop
11 décembre 2007

Courrier timbré au tarif lent

La lettre est arrivée ce matin. Je n'ai pas pu écrire tellement j'ai ri. Il est 16h, je sens encore mes mâchoires, j'ai des douleurs abdominales. Je suis sa femme, Madame. Celle qu'il a épousée il y a 37 ans. Autant vous dire que mon rire était jaune.
Alors vous voila enfin.
C'est une très belle lettre que vous lui écrivez, là. Très belle. J'aurais aimé savoir lui dire de si belles choses. Si vraies. Si douces. Si évidentes. Mais vous savez rien n'est évident dans ce mariage. Ni le quotidien, ni les grandes phrases. Surtout pas les grandes phrases. Je n'aurais pas dû décacheter votre lettre, mais je savais que c'était vous, je vous attendais.

Les premiers temps, ce fût infernal. Il ne m'adressait que très rarement la parole, pour des questions précises, il me vouvoyait, ne me regardait jamais. Oh je ne m'attendais pas à ce qu'il m'accueille bras ouverts, bien sûr, mais tout de même. De mon côté, toute enceinte que j'étais, je m'efforçais de lui rendre la vie agréable. Quand Armande est née, il s'est fermé un peu plus encore, reportant sur elle toutes ses rancoeurs. La fille d'un autre. Celle par qui le malheur est arrivé. Il a passé toutes ses soirées durant trois longues années dans son atelier. Il y mangeait, il y dormait même l'été. Armande et moi avions interdiction d'y mettre les pieds, même pour y faire le ménage. Il en a fabriqué des copeaux ... Des montagnes. Je n'ai jamais vu la couleur d'un meuble, ni d'un bibelot. J'entendais ses outils, trouvais sa vaisselle sale dans l'évier, ses vêtements poussiéreux dans la buanderie. Sans un mot, je rangeais, lavais, élevais ma fille.
C'est en silence également que je culpabilisais. Que je domptais ma honte. Et que je pensais à vous.

Cette situation je ne l'ai pas voulue plus que lui. Tomber enceinte à 17 ans d'un pasteur, ça n'était pas intelligent. Mais l'amour n'a que faire de la raison. Vous le savez aussi bien que moi. Je n'ai pas demandé à ce qu'on me sauve la face. Je voulais épouser Charles, élever Armande à ses côtés.
Arranger ce mariage avec votre Marcel, c'était une idée de ses parents. Les miens étaient prêts à me renier, tout simplement. Puis il y eût cette proposition. Sa mère ne vous aimait pas, elle préférait le voir malheureux avec moi plutôt qu'heureux avec vous. Elle ne supportait pas votre joie de vivre. Elle haïssait votre beauté. C'est vrai, vous étiez radieuse. Je lui faisais moins d'ombre, elle était certaine que je ne le ferais pas souffrir plus qu'elle, puisqu'il ne m'aimait pas.

Puis Armande a eu trois ans. Son premier mot fût pour Marcel. Papa.
Il en a pleuré toute la nuit, j'entendais ses sanglots, adossée à la porte de son atelier. Et notre vie a commencé.
Petit à petit, il est devenu attentionné et aimant envers ma fille. Puis il m'a traitée avec plus de considération. Nous avons appris à nous parler, à nous apprécier. Il m'a donnée de la tendresse. Deux beaux garçons. La vie ne fût jamais simple, mais il y eût des moments heureux. Des rires partagés, de l'amitié.
J'ai souvent pensé à vous. A Charles évidemment, mais à vous aussi. Je vous souhaitais de tout coeur d'avoir un mari aimant. D'oublier. Mais des passions comme celle-là, je le savais bien, ça ne s'éteint pas.

J'ai parcouru votre lettre. J'ai regardé vos photos. J'ai relu votre lettre et étudié à nouveau vos photos. Votre vie fût presque heureuse, me semble-t-il. Un quotidien agréable, malgré le manque, la douleur, la séparation. Du moins, c'est ce que semblent dire les photos. Le soulagement pour moi est immense. Si vous saviez ... Votre mari nous a quitté, les enfants ont fait leur baluchon depuis bien longtemps. Je ne vous dis pas ma peine, elle ne serait qu'à moitié sincère. Je suis heureuse Charlène, que vous soyez enfin là pour lui. J'ai fait mes valises, je vous le laisse. Il vous attend depuis 37 ans. Soyez heureux, il en est encore temps.

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Commentaires
I
... j'essaye de pas dire n'importe quoi<br /> Rouge - et les . communs, t'as raison !<br /> Zoridae - mais de rien, je te dépose où ?<br /> Ash - tu voudrais pas m'agresser un peu ? j'aurais plus de répartie ...<br /> <br /> (raté)
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A
Je rattrape mon retard...<br /> Bluffé je suis.
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Z
Très belle histoire qui m'a emportée... Merci !
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R
et les points communs... :-)
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I
Oui Rouge. Je ne sais pas, je n'ai pas voulu m'attacher aux images vraiment, juste pensé aux circonstances dans lesquelles elles pouvaient ressortir du placard - d'où les différences de vue.
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