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Kaléïdos-coop
13 novembre 2007

Lou y es-tu?!

Lou était une jeune fille comme les autres au détail près que les autres l'ignoraient. Elle avait une bouche, deux yeux, un nez, une langue, deux oreilles, deux mains, deux pieds... bref Lou ressemblait sur bien des points aux filles de son âge. A l'exception près qu'elle ne souriait jamais. Et si Lou ne souriait pas ce n'est pas parce qu'elle n'en avait pas envie, c'est que rien ne la faisait sourire. Faut dire que Lou était déclarée au registre de l'état civil sous le prénom désuet de Louise, mais depuis le décès de sa grand-mère de qui elle le tenait, sa mère s'était mise à le raboter d'une syllabe. Elle avait échappé à "Loui", c'était déjà ça! Sa mère courait d'un boulot à l'autre depuis que son père s'en était allé un beau soir de décembre acheter des cigarettes. Lou s'était bien demandé pourquoi, puisqu'il ne fumait pas. Mais quand une semaine plus tard elle se rendit compte qu'il ne reviendrait plus, elle comprit qu'il avait pris la tangente. Depuis, elle habitait dans un minuscule appartement, et elle rendait de menus services aux vieilles dames de l'immeuble pour pouvoir s'offrir de temps à autres une place de ciné ou bien une entrée au musée. Et pour tuer le temps gratuitement Lou s'était mise à compter tout ce qui s'offrait à ses yeux: les boutons sur les joues de ses camarades de classe, les bouts de papier collés au plafond de la salle de maths, le nombre de fois que sa prof de français disait "voilà" en une heure de cours... Elle avait même développé en elle une faculté à voir ce que les autres ne voyaient jamais. Et puis à force de compter tout et n'importe quoi elle se mit à conter pour de vrai. Elle contait dans sa tête des histoires que jamais elle ne vivrait, des histoires parfois poignantes, parfois déchirantes, voire carrément délirantes. Et les heures, les jours, les mois passaient, sans qu'aucun de ceux qui l'entouraient ne fît davantage attention à elle. Invisible, transparente, absente ou disparue. Personne ne lui prêtait jamais attention, mais avec le temps elle avait appris à s'en moquer.

Un jour elle décida de compter le nombre de boîtes entassées dans le placard de l'entrée alors qu'elle y rangeait son vieux manteau élimé. Son regard fut attiré par une vieille boîte à chaussure sur laquelle sa mère avait inscrit: "ne pas ouvrir". Et si Lou ne souriait pas, du haut de ses quatorze ans, elle n'en restait pas moins une adolescente prête à défier l'interdit! Et elle l'ouvrit! Elle découvrit alors quelques affaires qui appartenaient à son père. C'est ainsi qu'avec cette fâcheuse manie de tout compter elle sortit un à un les différents trucs entassés dans la boîte: cinq photos, une liste de courses, un bouquin, un rasoir électrique, deux boutons de manchette, et un boîtier noir. Son regard s'illumina. Un appareil photo! Elle remit délicatement toutes les affaires à leur place hormis ce dernier qu'elle cacha sous son lit. Elle se promit d'économiser en attendant de pouvoir s'offrir une pellicule. Cela prit plusieurs semaines. Mais Lou était devenue patiente au fil du temps. Quand elle réussit à réunir l'argent nécessaire, elle se rendit à la superette du quartier et choisit une "24 poses".  Elle rentra directement chez elle et chargea la pellicule avec soin, elle n'avait pas très envie d'attendre encore plusieurs semaines pour pouvoir s'en servir! Comme elle avait pris l'habitude d'exercer son oeil à percevoir ce que le commun des mortels ne distinguait pas, elle sut aussitôt où se rendre pour prendre quelques clichés. Elle prit audacieusement un couple d'amoureux en train de s'embrasser dans le square, des enfants qui riaient et jouaient dans le bac à sable, l'arbre sur lequel elle s'était ouvert le front quand elle avait quatre ans, un platane immense, le bureau de tabac qui n'avait même jamais vu l'ombre de son père, et elle prit doucement le chemin du retour... Elle se sentait bien... presque heureuse. Quand elle arriva au pied de son immeuble, elle ne put s'empêcher de prendre une dernière photo. Un chat faisait les poubelles. Elle se promit de faire durer le plaisir en prenant une photo par semaine: elle passerait la semaine le nez en l'air pour savoir laquelle elle voudrait vraiment prendre! Les jours passèrent, le nez en l'air. Les semaines passèrent, le nez en l'air. Jusqu'à ce matin de novembre. Elle découvrit sur le balcon de la gardienne des décorations d'Halloween. Beurk! pensa-t-elle, quelle idiotie cette "fête". Et en se rendant au collège, elle se rendit compte que dans la nuit, nombre de fenêtres s'étaient couvertes de fausses toiles d'araignées, des courges reposaient sur le bord des fenêtres. Cette année encore, on n'y échapperait pas! En sortant de classe, elle choisit de prendre le chemin le plus long pour voir si le quartier voisin s'était lui aussi laissé contaminer. Elle ne fut pas déçue! Sur les branches des arbres des jardins, des coloquintes pendouillaient à la manière de boules de Noël. C'était absolument ridicule!

Et c'est là qu'elle la vit! Le comble du ridicule! On aurait dit un pénis avec des yeux! Elle ne put s'empêcher de sortir son marqueur de son sac US et de dessiner des sourcils au-dessus des yeux. Forcément, avant de s'enfuir à grandes enjambées, elle prit le temps de sacrifier une photo de sa pellicule. C'était la dernière...

Elle attendit quelques temps encore pour pouvoir s'offrir le développement. Et quand elle alla enfin chercher la pochette tant convoitée, elle patienta jusque chez elle pour découvrir ses photos. Certaines la déçurent, d'autres l'émurent, mais la dernière la fit franchement rire! Et elle la scotcha dans son agenda pour pouvoir rire quand elle le souhaiterait.

Quand le lendemain son agenda tomba de son sac, une main plus rapide que la sienne s'en saisit. Forcément la photo se détacha et glissa sur le sol. Elle rougit, mais quand, confuse,  elle croisa le regard de celui qui la lui tendait, c'est un sourire qui l'attendait... CIMG5216Et c'est ainsi que Lou vit le loup (arf! c'était trop tentant!!!)

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Commentaires
O
Rouge, j'ai donc écrit une suite "à ma manière", puisque tu me l'as suggéré... Si d'autres sont tentés...
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R
hier (façon de parler!) tu avais 85 ans aujourd'hui 4! super! ça c'est un vrai beau compliment! merci! :)
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L
Je crois que tes enfants ont (ou auront) la chance d'avoir une maman qui raconte de si jolies histoires.<br /> En tout cas, même à 30 ans, j'avais de nouveau 4 ans et je t'écoutais raconter ton histoire.<br /> Encore !!
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R
on va encore attendre un peu Lou n'a que 14 ans! (je sais je suis vieux jeu!)
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O
Et alors, elle vit le loup... et alors... j'ai envie de lire la suite, s'il te plaît.
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