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Kaléïdos-coop
4 octobre 2007

Rendez-vous manqué

9 mois et une semaine. ça fait 9 mois et une semaine que je me rends à ce rendez-vous tous les mardi à 16h. Au début, je prétextais une séance de kiné. Maintenant, je ne dis plus rien, mes collègues ont pris l'habitude. Réflexe pavlovien. À 15h45, je prends mes affaires : serviette en cuir, trench et parapluie rouges, même quand il fait beau ; et je me dirige vers la bouche de métro. Ligne 6. Trocadéro - je descends. Je suis invariablement le même chemin pour me rendre sur le parvis : je longe le cimetière, continue, passe devant les bancs, traverse le carré de pelouse, jette un oeil envieux à la billetterie - me disant que venir ici tous les mardis sans jamais monter, c'est vraiment con - puis je me dirige vers ce poteau, toujours le même, contre lequel je m'adosse et qui constitue un excellent point de mire pour mes observations hebdomadaires. Et j'attends. Les premières fois, j'étais impatiente, prête à bondir si je t'apercevais. Puis, faute de te voir, l'urgence s'est dissipée. L'espoir a fait place au doute, puis au désespoir, et à la résignation. C'est résignée que j'ai décidé de prendre un billet aujourd'hui et de monter à pieds ces trois étages mythiques. Mais pendant ces neuf mois, malgré le doute, la lassitude, j'ai poursuivi mes visites. Parce que cette routine secrète m'était agréable. Ce naufrage dans la mélancolie me plaisait. Attendre. M'accrocher à une image de plus en plus floue de ton visage. Un jour, la laisser filer. En construire une nouvelle à partir d'autres visages étrangers, croisés ici, eux aussi. Laisser passer les saisons sur notre rencontre furtive. Délaver mes regrets dans les pluies automnales. Enfouir mes remords sous les premières neiges. Voir l'espoir bourgeonner à nouveau avec les belles journées de printemps. Et me décourager. À nouveau. En montant les marches tout à l'heure, j'ai refait le scénario de notre rencontre une presque centaine de fois. Comme je le fais chaque mardi, chaque lundi et quelques autres jours au hasard de mes colères, depuis 9 mois et une semaine. J'ai prononcé dans ma tête les mots que j'aurais dû te dire, en comptant les marches. Toutes les vingt marches je te voyais arriver sur ton vélo, comme tu l'as fait il y a 9 mois et une semaine. Toutes les vingt marches je te voyais sourire, comme tu l'as fait il y a 9 mois et une semaine. Toutes les vingt marches, je te rendais ton sourire, comme je l'ai fait il y a 9 mois et une semaine. Et puis nous avions cette conversation surréaliste que nous avons effectivement eue il y a 9 mois et une semaine. Celle durant laquelle j'ai vu ma vie faire un tour complet sur elle-même. Back flip, grab, et tout le bordel sur une seule bosse. Mais toutes les vingt marches, dans mon scénario, je NOTAIS ce putain de numéro que tu m'as donné il y a 9 mois et une semaine, chose que je n'ai pas faite il y a 9 putains de mois et une putain de semaine. Et je suis arrivée en haut de la Tour Eiffel. J'ai regardé le parvis dix bonnes minutes en reprenant mon souffle. Puis, au moment de redescendre, je t'ai vu en bas. J'ai crié, tu ne m'as pas entendue.
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Commentaires
I
arf oui, c'est ça, la frustration, ça pince.
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B
Peu importe le retard pour ce texte qui m'a pincé le muscle cardiaque ...
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I
oui bon, je suis à la bourre, en vrai, mais c'est pas ma faute, hein ...
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